vendredi 11 décembre 2009

Histoire de Jean-Alphonse Renart, Kiki Landru et de la revue Spectre



(...)
C’est en effet une amitié passionnée qui se noue en quelques années entre les deux adolescents. Pendant trois ans, Jean-Alphonse et Kiki s’entendent comme larrons en foire. Tout ce que Renart aime, Kiki s’y intéresse, et tout ce que Kiki dit, Renart le fait. C’est grâce aux encouragements de son nouvel ami que Jean-Alphonse Renart suit un régime difficile lors de ses dix-sept ans, et perd vingt kilos, ce qui accroît sa confiance en lui et lui permet de rattraper son retard affectif en vivant simultanément trois passions amoureuses et charnelles (nous n’en connaissons que les prénoms : Alexia, Blandine et Corinne). Kiki le suit également momentanément dans ses restes de ferveur mystique, ou ses retours de mysticisme, mais tous deux s’en désintéressent finalement assez vite. Au christianisme, Renart et Landru préfèrent la science-fiction, le fantastique et l’étrange. Parmi les passions des deux amis, la série Twin Peaks diffusée à la télévision française en 1991, mais aussi les anciens numéros de Métal Hurlant, qu’ils collectent sur les quais de la Seine les week-ends, les nouvelles de Borges, les romans de Philip K. Dick… Et l’aventure du Grand Jeu, qui leur semble en tous points la plus belle aventure littéraire du XXe siècle, à laquelle ils s’identifient, naïvement, et dont ils ne quitteront jamais le cousinage, quelles que soient les formes que prendront leurs recherches par la suite.

(...)

La revue Spectre, Kiki Landru rencontre ses futurs membres dans un café près de Canal Saint-Martin dans le cours de l’été 98. C’est un choc, un coup de foudre. C’est au bar à concerts « L’Atmosphère » où Scott Batty croisa pour la première fois Lucas Falchero comme Aurélien Nicolas et où les futurs animateurs de la revue donnent la majeure partie de leurs rendez-vous, copieusement arrosés de bières (plus tard, ils déplaceront leur « Q.G. » à la brasserie « La Gueuze », rue Soufflot). Pendant quatre années riches en événements et en rebondissements, Kiki s’investit corps et âme dans le destin de cette petite revue d’art et de littérature populaire dans laquelle il fonde les plus grands espoirs. Devant un Kiki ébloui, Lucas Falchero, Philippe-Antoine Lambert et Pacôme Thiellement, qui se font alors appeler les « Gentlemen Invisibles », déploient les premières articulations de ce qu’ils nomment la Théorie de l’Invisibilité et qui s’inscrit dans le sillage de Thomas Pynchon et de N. Senada, le « maître obscur » du groupe de pop music The Residents.

Ainsi Pacôme raconte la Geste de Caméo Mephen-Little et Terry Zgeg-Gueiro, deux étudiants construisant en quelques années une nouvelle méthode de guérilla pour attaquer, par des moyens ésotériques, le monde moderne. Ainsi Philippe-Antoine assimile la société actuelle au monde de l’Hyper-réel, soit, dans une vision où les intuitions de Heidegger et de Debord se croisent, un monde qui n’est plus composé que par les conceptions que les hommes se font de lui et d’où a disparu tout mystère dans son impératif d’ « auto-représentation » calculée. Ainsi Lucas, quant à lui, commence un travail récapitulatif sur un sorcier de Thiers, Jacques Valorce, ayant fait échouer sa précédente revue, Vies Contemporaines, travail qu’il abandonne en fin de compte au mystérieux Mr ***. Pour Kiki, c’est une révélation, le début d’une ère nouvelle. Modestement, pour leur n°0, il se contente d’écrire un article consacré à Marilyn Manson. Mais il ne s’arrêtera pas en si bon chemin…

Comme il l’explique lui-même dans son autobiographie, Jean-Alphonse Renart ne suit pas Kiki dans son intérêt pour les membres de la revue Spectre. En effet, ceux-ci lui apparaissent surtout comme de bien mauvais plaisants, des apprentis sorciers très « occidentaux », quand ce n’est pas des magiciens noirs, fort éloignés de sa démarche prudente de sa réappropriation d’un savoir traditionnel, « oriental », resté caché. Il préfère se rendre, quotidiennement, à la Bibliothèque Nationale pour parfaire ses recherches concernant l’Indouisme, l’Islam chiite ésotérique ou la Pensée Cathare. Au bout de trois ans, dans le courant de l’an 2000, il abandonne même l’Université et mène seul sa quête. Et, chose troublante, celle-ci se déploie, aux côtés de celle de son ami Kiki, sur des lignes qui finiront par, mystérieusement, magiquement, se croiser.

http://laguerretotale.blogspot.com/2009/12/le-combat-contre-jarry.html